Residency Unlimited

Harold Guérin | STRATES – PARTITION DU VIDE – | Texte Isabelle de Maison Rouge + Interview

STRATES – PARTITION DU VIDE

Exposition d’Harold Guérin
présentée du 31 janvier au 30 mars 2019
vernissage le 31 janvier à 19h
La Capsule, Centre Culturel André Malraux, 10 avenue Francis de Pressensé, Le Bourget

Infusion du corps dans le paysage*

La question du paysage et du rapport de l’homme à l’espace qui l’environne traverse le travail d’Harold Guérin de part en part. Par cette démarche il s’inscrit dans la poursuite de l’Histoire de l’art qui dès ses débuts exprime les liens qu’entretient l’être humain avec la nature. Le paysage a d’abord servi d’environnement narratif, symbolique ou ornemental aux artistes. Mais depuis les années 60 toute description du monde n’implique plus seulement la notion de copie du réel. L’artiste dorénavant, à l’aide d’investigations, de mise en scène et de récits amène à penser et réfléchir sur les territoires naturels comme artificiels qui nous entourent et dans lesquels nous trouvons place. En cela, bien loin d’être le seul lieu d’une « représentation du monde », l’art peut revendiquer des capacités singulières pour questionner et investiguer les modifications internes du paysage et les mutations que l’homme lui fait subir à partir de l’Anthropocène*.

Engagé dans une démarche d’explorateur, d’observateur, de chercheur qui n’est pas dénué de sens critique, Harold Guérin s’empare des problématiques géographiques pour comprendre le monde et agir sur lui. Il prend connaissance avec le terrain qui devient son objet d’étude et part, accompagné de son appareil photo. Il va photographier à la chambre ce qui lui permet de travailler à un autre rythme, prendre le temps de la réflexion, de la contemplation et de l’indécision. Dans une manière de décroissance photographique, il assume le plaisir de la lenteur.

L’apprentissage de la temporisation, il l’acquiert également dans son contact avec le paysage et sa marche à l’intérieur de son étendue qui n’a rien d’un geste anodin. Ce qui intéresse l’artiste est de perturber la trajectoire du regard et la perception qui en découle. Ainsi dans Percée, il nous offre une véritable perforation du paysage creusant une perspective dans ce sentier de montagne tout à fait différente de ce qui existe sur le site, comme un vortex qui aspire la vue. Avec Traffic Twist Around il vrille la cartographie d’un lieu évoquant ainsi la vitesse de déplacement d’une agglomération à une autre par une contraction de l’espace, les formes en relief qui en découlent peuvent faire penser également aux twists vues par satellites des cyclones et événements météorologiques qui agissent sur certains endroits du globe. Focus offre au spectateur d’assimiler visuellement un objectif d’appareil photo à une carotte géologique. Harold Guérin par ses installations fait se superposer ainsi travail photographique et vision cartographique.


Percée
Traffic Twist Around
Focus

La résidence que l’artiste a réalisé à la Capsule lui a permis d’approfondir deux projets spécifiques Perspective du repli et Silence Exposure qui tous les deux proposent de façon bien différente une réflexion sur la mutation du paysage. Il réalise un grand écart entre les prises de vue d’ensembles urbains très denses où une concentration d’immeubles bouche l’horizon et les grandes zones vides éloignées de toute habitation et où la pollution lumineuse comme sonore est moindre.

Dans la première série il reproduit ces images urbaines sur un papier qu’il va ensuite replier pour reconstituer le fameux soufflet de l’appareil photo et produire ainsi une vision confinée de ce regroupement architectural. Cet appareil qu’il utilise avec son soufflet étanche à la lumière autorise les mouvements mais nécessite un temps d’exposition à la lumière qui varie selon le sujet que l’artiste décide de traiter. Dans le paysage rural et nocturne, Harold Guérin va l’étirer à l’infini afin d’en bouleverser les perceptions.

Perspective du repli
Silence Exposure

Frictions

Ainsi dans la deuxième série il enregistre le déplacement de la lune durant toute une nuit dans un paysage totalement isolé et quasi silencieux, toutefois il interrompt la prise de vue chaque fois que se fait entendre un bruit polluant. Le résultat qui s’enregistre pendant une nuit entière et ne produit pourtant qu’une seule photographie, donne une vision syncopée du déplacement de l’astre qui dessine un étrange message morse dans l’espace noir profond du ciel nocturne. Les noirs dans la trajectoire lumineuse rendent visibles l’irruption du son (de moteur de voiture ou d’avion de ligne) dans le silence qu’ils percent et perturbent en venant hacher la courbe qui apparaît visuellement interrompue.

Le temps, sa durée et son inscription sur l’espace sont les filigranes qui nous permettent de nous repérer dans l’œuvre d’Harold Guérin et lui confèrent la fonction de métadonnées.

Isabelle de Maison Rouge

Critique et historienne de l’art

* Infusion du corps dans le paysage, ce titre se réfère à l’ouvrage de Frédéric Gros, Marcher, une philosophie, Flammarion 2011

* l’Anthropocène est un terme de géologie proposé pour caractériser l’époque de l’histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre.

Comment êtes-vous devenu artiste plasticien ?

Ma pratique, je l’ai d’abord amorcé comme beaucoup, tout jeune, par le dessin. Ce besoin de représenter les choses qui m’entouraient a grandi et m’a amené à poursuivre mes propres expériences et mes études. Au lycée puis à l’école des Beaux Arts où, du dessin, j’ai ouvert mes perspectives au volume et à la sculpture. Je me suis rendu compte que les possibilités étaient infinies et qu’elles pouvaient prendre une multitude de formes. Et c’est ce qui m’intéresse et me correspond le mieux : pouvoir adapter la forme au sens de mes projets. C’est ainsi que ma démarche peut recourir à des techniques et médiums très divers, aussi bien l’installation, la vidéo que le dessin, ou encore la photographie. Je n’ai donc pas de spécialité particulière. Chaque nouveau projet est un petit défi puisque je dois souvent acquérir de nouvelles compétences pour mener à bien sa réalisation.

Quels sont les thèmes qui vous inspirent ?

L’aménagement du territoire et la mutation du paysage sont des sujets que j’explore sous différents aspects. La perception que l’on peut en avoir par le déplacement, le voyage et l’observation des phénomènes naturels traverse ma recherche depuis plusieurs années. Par ailleurs, l’étude scientifique du terrain me fascine beaucoup et m’interroge. C’est pourquoi les questions de cartographie, de mesure et de prélèvement, se rejouent à différents niveaux dans mon travail.

La photographie a pris une place non négligeable dans ma démarche artistique ces dernières années. Le processus de captation m’intéresse autant que l’image obtenue. J’utilise souvent la photographie au sein de protocoles qui peuvent donner lieu à des objets à la frontière entre image et volume.

Comment s’est construit votre projet de résidence ?

Débuté en 2016, je souhaitais développer et faire évoluer mon projet « perspective du repli ». Celui-ci fait appel à l’outil photographique à différents niveaux. D’abord l’utilisation de la chambre photographique argentique permet de réaliser une photographie d’ensembles urbains en banlieue parisienne, puis l’image est tirée et pliée sur elle-même pour prendre la forme du soufflet de la chambre utilisée. Ce projet questionne les perspectives architecturales et celles liées à l’horizon (ou à son absence) en raison de la densité urbaine.

En parallèle, j’avais depuis un certain temps l’envie de développer un nouveau projet qui entrait en résonnance avec celui-là. Suite à des recherches cartographiques, je me suis intéressé à ce que l’on appelle les « trous de France », c’est-à-dire les zones de France inhabitées, quasiment vierges. Je souhaitais alors allier la captation photographique à la captation sonore de ces zones la nuit, en opposition à la densité et à l’agitation diurne de l’urbain. En somme, faire se répondre deux projets, l’un autour du plein et l’un autour du vide.

Par ailleurs, avec l’équipe de la Capsule, nous avons voulu développer mon projet Percée. Ces photographies de paysage réalisées pendant une marche de plusieurs jours en montagne sont chacune reproduites plusieurs fois à l’identique. Strate après strate, chaque exemplaire est découpé d’un cercle de diamètre plus petit produisant une percée dans la planéité de l’image. La trajectoire du regard est perturbée. L’image ainsi percée trouble la perception de cette étendue à traverser.

 


​​La Capsule, Centre culturel André Malraux
10, avenue Francis de Pressensé, Le Bourget
à 50m de la gare RER (ligne B)
01 48 38 50 14
www.lacapsule.org
Galerie ouverte du lundi au vendredi de 9h à 12h00 et de 13h30 à 18h, le samedi de 10 h à 13 h et de 14 h à 17 h, (fermeture les samedis pendant les vacances scolaires)

Entrée libre

La Capsule – lieu de résidence photo

La Capsule, lieu de résidence Photo créé par la Ville du Bourget et soutenu par le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, a pour mission d’offrir un soutien à la photographie dans le domaine de la création mais également de la diffusion et de la sensibilisation auprès des publics.

Créée en 2009, La Capsule offre ainsi un soutien artistique et technique aux résidents pour développer ou finaliser leur projet. Elle accueille des artistes photographes pour une période de résidence d’une durée de plusieurs mois à un an et leur met à disposition des locaux – laboratoires de développement et de tirage argentique et numérique, studio photo – et le matériel nécessaire à la production des photographies et des expositions. De même, elle offre un espace de diffusion aux résidents et met en place de nombreux projets pour favoriser la rencontre entre ces artistes et les publics. La Capsule tend également à favoriser les échanges entre les photographes et développer un réseau autour de cette discipline.

Depuis sa création, La Capsule a accueilli et soutenu une vingtaine d’artistes dont Tina Merandon, Laurent Lafolie, Gilles Raynaldy, Mustapha Azéroual, Véronique Ellena, Nicolas Henry, Bertrand Meunier et Alain Willaume, Philippe Bréson ou encore Xavier Lambours.

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